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IA : une régulation uniforme impossible à l’échelle mondiale ?
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Actualité juridique, Etats-Unis, Europe, Mises à jour réglementaires et législatives

IA : une régulation uniforme impossible à l’échelle mondiale ?

L’intelligence artificielle (IA) est devenue un enjeu juridique majeur, tant en Europe qu’aux États-Unis, chacun adoptant des approches distinctes pour encadrer son développement et son utilisation. Ces divergences reflètent des philosophies réglementaires et des priorités différentes, influençant la manière dont l’IA est intégrée dans la société.

L’Union européenne : une approche proactive et structurée

L’Union européenne (UE) a adopté une position proactive en matière de réglementation de l’IA. Le 1ᵉʳ août 2024, le Règlement (UE) 2024/1689, connu sous le nom de « Législation sur l’IA » (AI Act), est entré en vigueur, établissant le premier cadre juridique complet sur l’IA au niveau mondial. Ce règlement vise à garantir que les systèmes d’IA respectent les droits fondamentaux, la sécurité et les principes éthiques, tout en s’attaquant aux risques associés aux modèles d’IA puissants et influents.

L’AI Act adopte une approche fondée sur le risque, classant les systèmes d’IA en différentes catégories :

  • Risque inacceptable : Les systèmes d’IA présentant un risque inacceptable pour les droits fondamentaux sont interdits. Cela inclut, par exemple, les systèmes de notation sociale et certaines applications de reconnaissance faciale en temps réel dans les espaces publics.

  • Risque élevé : Les systèmes d’IA à haut risque, tels que ceux utilisés dans les infrastructures critiques ou pour le recrutement, sont autorisés sous réserve de respecter des exigences strictes, notamment en matière de transparence, de traçabilité et de surveillance humaine.

  • Risque limité : Ces systèmes sont soumis à des obligations de transparence, comme informer les utilisateurs qu’ils interagissent avec une IA.

  • Risque minimal ou nul : La majorité des systèmes d’IA entrent dans cette catégorie et ne sont pas soumis à des obligations spécifiques.

Cette classification vise à équilibrer l’innovation technologique avec la protection des droits fondamentaux, en imposant des obligations proportionnées au niveau de risque identifié.

Les États-Unis : une approche fragmentée et sectorielle

Aux États-Unis, l’approche réglementaire de l’IA est plus fragmentée et repose principalement sur des initiatives sectorielles et étatiques. Au niveau fédéral, le décret présidentiel du 30 octobre 2023 vise à promouvoir un développement et une utilisation éthiques, sûrs et fiables de l’IA. Ce décret fournit des lignes directrices pour les agences fédérales, mettant l’accent sur la protection des données, les droits civils et les libertés, tout en encourageant l’innovation.

Parallèlement, plusieurs États ont adopté leurs propres législations en matière d’IA. Par exemple, le Colorado a promulgué une loi imposant des obligations de transparence et des évaluations des risques pour les systèmes d’IA à haut risque. De même, l’Illinois et New York ont mis en place des lois visant à prévenir la discrimination liée à l’utilisation de l’IA dans les décisions d’embauche.

Cette approche décentralisée permet une certaine flexibilité, mais peut entraîner des incohérences réglementaires entre les différentes juridictions, posant des défis pour les entreprises opérant à l’échelle nationale.

 

Problématiques liées à ces différences réglementaires

1. Conformité juridique et incertitudes pour les entreprises

Les entreprises développant ou utilisant des solutions d’IA doivent naviguer entre des cadres réglementaires divergents :

  • En Europe, le cadre juridique est clair, structuré et harmonisé, ce qui permet une certaine sécurité juridique mais impose des contraintes lourdes pour se conformer à l’AI Act.
  • Aux États-Unis, les règles varient selon les États et secteurs, ce qui complexifie la mise en conformité et crée de l’incertitude juridique. Une entreprise opérant à New York et en Californie peut être soumise à deux cadres différents, rendant la gestion de l’IA plus compliquée.

➡ Enjeu : Comment assurer une conformité efficace dans plusieurs juridictions sans ralentir l’innovation ?

2. Attractivité des marchés et fuites d’innovation

La régulation stricte en Europe pourrait pousser certaines entreprises à privilégier les États-Unis ou d’autres régions plus souples (ex. Asie) pour le développement de leurs modèles d’IA.

  • Exemple : OpenAI, Google et Anthropic testent leurs modèles d’IA aux États-Unis où les contraintes sont moindres, avant d’adapter une version conforme aux règles européennes.
  • Risque : L’Europe pourrait voir une fuite des talents et des investissements dans le domaine de l’IA.

➡ Enjeu : Comment l’UE peut-elle attirer et retenir les entreprises d’IA tout en garantissant un cadre éthique et sécurisé ?

3. Risques de conflits commerciaux entre l’UE et les États-Unis

Des divergences de régulation peuvent créer des tensions commerciales et des barrières d’accès aux marchés.

  • Un modèle d’IA autorisé aux États-Unis peut être interdit ou restreint en Europe s’il est classé à haut risque (ex. reconnaissance faciale).
  • Les normes européennes strictes pourraient inciter l’UE à imposer des restrictions aux entreprises américaines souhaitant opérer en Europe, provoquant des tensions commerciales.

➡ Enjeu : Un futur « AI Trade War » entre l’UE et les États-Unis est-il possible ?

4. Protection des données et droits fondamentaux

L’Europe met l’accent sur la protection des droits fondamentaux et des données personnelles (RGPD, AI Act).

  • Aux États-Unis, l’IA est souvent utilisée avec moins de contraintes sur les données personnelles (ex. les grandes entreprises comme Meta et Google collectent d’énormes volumes de données pour entraîner leurs modèles).
  • Cette différence de philosophie pourrait poser des problèmes de compatibilité entre les systèmes d’IA américains et européens.

➡ Enjeu : Comment assurer une interopérabilité des modèles d’IA tout en respectant la protection des données en Europe ?

 

Vers une convergence réglementaire ou une accentuation des écarts ?

Les efforts pour harmoniser les régulations de l’IA entre l’UE et les États-Unis restent timides.

  • L’UE pousse à une coopération internationale via des dialogues avec les États-Unis et le G7.
  • Aux États-Unis, certains législateurs appellent à une loi fédérale unifiée sur l’IA, mais la résistance politique et économique rend cette perspective incertaine.

À court terme, les entreprises et les juristes devront naviguer dans un environnement réglementaire complexe, nécessitant une veille constante et une adaptation stratégique.

Sources :

AI Act

L. Li, « Comparing EU and US AI legislation: déjà vu to 2020 », Reuters, October 21, 2024
« AI Act : la course européenne par la norme face au leadership américain en matière d’intelligence artificielle », EGE, Dec, 5, 2023